24 février 2005

Delphine m'a dit en souriant la dernière fois que je l'ai embrassée: "je crois que j’ai 89 ans, moins un mois!"

La plus ancienne adhérente de l’association de la Casamaures depuis 1985, a disparue dans un décor de neige comme un beau linceul paisible. Sur son bureau dans sa dernière chambre, une photographie prise sur les escaliers du parvis de l’Orangerie, rassemblait toute sa tribu de meylanais, petits enfants et arrières petits, des Guichard et des Perroud. Beaucoup garderont des souvenirs souriants d’une femme " romanesque "qui racontait volontiers des histoires de sa jeunesse de saint-martinière.

Son enfance ressemble à un roman : "La Petite Marie de la cité des cheminots de la Buisserate ". Toute la marmaille jouait dans la rue des immeubles ouvriers et les petits jardins familiaux. Sa fierté était son certificat d’étude obtenue avec une première mention à douze ans, à l’école du village de Saint-Martin-le-Vinoux. Trop vite elle fut obligée d’assurer son premier travail dans un atelier où les petites filles cousaient des boutonnières, alors qu’elle aurait tant aimé être une institutrice pour donner le goût d’apprendre, de lire des romans comme La dame aux camélias. En d’autres époques, elle aurait été exploratrice, institutrice en Afique, mais il y avait des bouches à nourrir et le travail des enfants était vital pour une famille nombreuse de 7 enfants.
Mais il y avait aussi les premières crises d’asthme, le manque de docteur et d’argent pour acheter les médicaments!. Elle était bien méritante de l’avis de ses vieux amis pour dépasser les coups durs et aider ses frères et sœurs. Le nom de la rue Jean Perroud garde le témoignage de ce frère bien-aimé déporté et torturé. Tout le monde s’appelait par des surnoms avec Camille, Charli, Lili, Soso et Dédé pompier bénévole de Saint-Egrève. Des frères si jeunes patriotes qui vécurent la Résistance des maquis de Chartreuse, sous la protection de Jean-le-menuisier " cheminot pauvre mais un travailleur si intègre ". Au cœur de sa vie, il y a toujours eu sa maman Marie avec une tresse en chignon et aux beaux yeux bleus qui ont aussi trop pleurés… En son honneur pousse un grand rosier bleu Charles de Gaulle, qui fleurit mauve sur le mur de la Résistance dans les jardins de la Casamaures.

Son histoire témoigne de la vie dure de toute une époque d’ouvriers qui ont connu 1936, les guerres, les bombardements de la Buisserate. Aux cités elle avait épousé un paysan de Meylan, le jour de ses 20 ans. Devenue sténo-dactylo grâce aux cours du soir, elle rejoignit la culture d’entreprise des " Mergères", et plus tard ses bonnes collègues des ASSEDIC.
Elle répétait "j’ai la mémoire qui flanche", tout en citant De gaulle qui disait: " la vieillesse, c’est un naufrage, c’est triste comme un bateau qui sombre…".
Mamie Pâquerette était un peu " fleur bleue " et savait réciter par cœur les poèmes et toutes les paroles des chansons de sa jeunesse, elle savait sourire et charmer surtout les jeunes ! Mais elle refusait que trois enfants aient aussi des cheveux blancs ! Protectrice, elle a privilégié ses trésors de petits-enfants.
Elle manquait de souffle, mais avait un grand cœur généreux et des fantaisies, elle collectionnait les prénoms. Sa passion était pour les couleurs, les tableaux qui la faisait rêver de voyage aux antipodes.


Dimanche 24 avril, en hommage à "Delphine poussière d’étoile qui croyait aux anges et aimait les couleurs de l’arc-en-ciel", nous invitons ceux qui ont partagé ses bons moments. Un livret de recueil de ses témoignages sur la vie locale et des photos d'époque sont rassemblés, à nous de le compléter.
Nous planterons un rosier bleu du souvenir. Ainsi à La Casamaures, nous garderons une image vivante de Marie paquerette. Sous le souffle du vent, une bonne odeur de roses de Perse nous fera penser avec émotion à cette lignée de femmes courageuses.
Les rosiers bleus de Delphine et Marie