LE ROMAN D’UN LE
BATISSEUR GRENOBLOIS EPRIS D’ORIENT
dont la vie
mouvementée est marquée par trois femmes
officielles et de multiples métiers.
JOSEPH
JULLIEN DIT COCHARD est un illustre inconnu, un conscrit
de Victor
Hugo, d’Hector Berlioz, de Prosper
Mérimée. Tous les visiteurs se posent la question
quelles sont les motivations de son rêve demeure, qui a
influencé cet autodidacte en pleine époque
coloniale. Il a vécu l’évolution
d’une petite cité provinciale qui a l'orgueil
d'avoir vu de grands innovateurs comme les frères
Champollion, Louis Vicat, Aristide Bergès…
La
jeunesse grenobloise d’un autodidacte.
Né
de père inconnu le 13 pluviôse de l'An XI, (le 2
février 1803), rue de Turenne à Grenoble, Joseph
Jullien a connu 83 ans d’histoire locale. Enfant naturel
d’une couturière, Mélanie Jullien. Son
grand-père maternel éperronier le forme au
métier maréchal-ferrant.Il se déclare
"maréchal" de 1817 à 1827.
De
1827 à 1830, il est lieutenant de cavalerie dans la Garde
Nationale, il reste au contact des chevaux en tant
qu’expert
vétérinaire.
Puis il reprends son
métier Maréchal ferrant de 1830 à 1861
où dans ses locaux rue de France.
L’existence
de Joseph Jullien dit Cochard (patronyme de son père
présumé) est étroitement
liée aux femmes qu’il a aimées.
Le
30 mai 1832, à 29 ans, il épouse Rosine jeune
couturière de quinze ans. Elle mourra quatorze ans plus
tard
sans lui avoir donné d’enfants.
Veuf
depuis 1846, il se marie en secondes noces avec Jeanne
Marie.
Le
couple habite le centre de Grenoble place Grenette et
possède des biens immobiliers. Sa cousine est " marchande
de
nouveautés " dans sa boutique " Modes " au 12 place
Grenette
qu’on peut voir sur une gravure d’époque.
Lors
du contrat de son deuxième mariage en 1849,il se
déclare "entrepreneur de messageries" du service des
dépêches de Grenoble à Lyon, chez
Mazuyer.
Les actes pour ses transactions sont nombreux
entre les achats et vente de locaux au gré de sa fortune,
ainsi que les contrats de négoce dont les engagements de
fournir "fourrage et pains de troupe à la ration" avec
l'administration de la Guerre.
Puis il se lance dans des
spéculations immobilières, devenu
"propriétaire rentier" en 1855, il reste
étroitement lié au "commerce de peaux", dont il
perçoit des commissions.
Il acquiert à
Saint-Martin-le-Vinoux le terrain de " La Guinguette "
composé au début de 25 ares achetés
pour 14 000 francs avec jardin, treilles, terrasse et
bâtiments en pierre et la maison du jardinier
situés en bordure de la route impériale.
Les
Jullien souhaitent y faire édifier leur résidence
secondaire, une villa de plaisance. La mode du retour à la
nature est européenne de l’aristocratie, les
noveaux bourgeois et tout le monde culturel. Elle devient
très populaire dans les quotidiens de
l’époque qui retracent la vie des artistes
voyageurs. Les botanistes sillonnent le monde à la
recherche
de l’exotisme végétal de Jussieu ou de
Magnol qui implantera le magnolia (visible sur la place de
la
convention (place de Verdun) et dans les jardins en
terrasse de la
villa mauresque).
Grenoble est alors une cité
bruyante et malodorante. C’est une ville de garnison,
fermée, gardée, comme en témoigne la
présence des soldats sur la Bastille et la construction
des
dernières fortifications. L’armée
d’Orient est basée à Grenoble, des
zouaves circulent dans les rues au grand étonnement des
dauphinois !
Saint-Martin-le-Vinoux
commençait à la Porte de France, avec le quartier
ouvrier de l’Esplanade. Les maisons du village
étaient rassemblées autour de
l’église ( rebâtie en 1835), et le
hameau de la Buisserate au pied du Néron.
Au pied
du coteau du Belvedere, la voie royale de 1620 est devenue
" route
impériale de Chalon-sur-Saône. Les voyageurs se
déplacent à cheval ou en calèche et
patache. Il faut du temps pour effectuer le moindre
trajet, quitter le
centre de Grenoble n’a donc pas le même sens
qu’aujourd’hui. Or c’est ce que Jeanne
Marie et Joseph décident de faire en faisant bâtir
" maison de campagne". Les recherches d’archives
permettent
de connaît le maître d’œuvre
Milly dit Brionnet qui a une gentilhommière à
l’Esplanade, cet entrepreneur construira aussi les maisons
des écoles, le castel Chantoiseau du cimentier
Dumollard… et participera aux grands chantiers du
musée bibliothèque, de la Préfecture.
Le
rêve d’un petit palais orientaliste.
A
partir du 27 janvier 1855 il commence à construire un parc
exotique avec glacière, fontaines et sculptures, il
consolide le jardin en terrasse et débute la construction
de
ce qui deviendra la villa néo-mauresque " Les Magnolias ".
A
52 ans, Joseph Jullien dit Cochard passa commande aux
meilleurs
artisans pour réaliser trois façades en
béton composées de moulures
d’arabesques rehaussées de peinture bleu outremer.
La technique des plus novatrices, est directement liée
à la première cimenterie du
département, celle de la Porte de France ouverte en
1842,(Grenoble deviendra le premier exportateur de ciment
en Europe en
1880). Son imposante cheminée brune est toujours visible.
Les roches qu’on extrait donneront le ciment naturel
prompt
qui servira à fabriquer moulage après moulage,
les différents éléments architecturaux
du bâtiment. (ancêtre du
préfabriqué chaque éléments
est moulé en atelier, puis monté sur place). La
préfabrication est un innovation technique de
l’industrialisation naissante. A ce jour, cette
construction
représente le plus ancien monument classé en
béton. L’architecture est entièrement
en " pierres factices ". 52 colonnes en " or gris "
forment la
structure porteuse de tout l’édifice et encadrent
des vitrages polychromes jouant avec la lumière du soleil.
Les
arcs outrepassés, les moucharabiehs, les colonnades, la
façade en bois du jardin d’hiver, les motifs
floraux ou étoilés… tout rappelle un
Orient mythique d’un style recomposé. "Un unicum"
dixit M. Botton, architecte en chef M.H.
Il reste des
mystères sur le nom de l’architecte qui a
œuvré pour cette création
architecturale. Il est possible de pressentir la
réinterprétation par des occidentaux de motifs
connus dans le monde oriental (influences dans la mode
européenne de " l’orientalisme " des turqueries et
du Moyen-Orient. Peintres et sculpteurs du XIXe siècle
immortalisent de belles mauresques, les récits de voyages
exotiques se propagent en littérature… en pleine
époque coloniale, existe un véritable engouement
dans les milieux artistiques et populaires pour l’Orient,
l’extrême Orient et l’Afrique.
Peut-être
Jeanne Marie a-t-elle dans sa boutique des châles en
cachemire, des plumes d’autruches, des tissus
importés et parfums… en provenance de ces pays
lointains peu à peu découverts? La propagande
pour les colonies existe jusque dans les expositions
internationales. (
dans les foires sont des vitrines de représentation des
empires coloniaux. Un constat de 1873 fait état de
décors et de mobiliers de style mauresque dans la villa
dotée du confort moderne. Cochard réalise son
rêve de petit palais orientaliste pendant 23 ans. (en 1878
débute le palais idéal du facteur Cheval). Ce
bâtisseur commande un édifice à la
hauteur de ses envies de voyages imaginaires. Tout comme
ces oiseaux
colorés ou ces fruits exotiques sur les papiers peints
à la main des salons. Les palais, les minarets
d’Istanbul et de la corne d’or
idéalisent son quotidien dauphinois, l’exotisme
offre une vision mirifique d’un monde entouré des
jardins de la création…..
Il
était une fois un palais d’amour dans un
écrin de verdure
La singularité de ce
petit palais fait naître la légende. Les anciens
racontent par exemple que la demeure a été
construite par " amour pour une belle orientale "… Nul
n’ignore cependant que la tradition orale se nourrit de
semie-vérité. Si Jeanne Marie
l’hôtesse de maison n’est pas
Schéhérazade, par contre sur les vitraux des
chambres, de mystérieuses calligraphies en arabe classique
parlent d’amour. Des petits cœurs bleus et des
étoiles égrenés tout le long de la
façade ajoutent encore à la poésie de
ce fragile décor de château de sable. Des
riverains parlent aussi de la " Maison du Pacha ".
Pourtant point de
sultan ou d’émir par ici mais bien une villa
atypique faite pour être vue, de loin des routes qui
l’encerclent et même du haut de la bastille ! Ses
terrasses s’ancrent sur le rocher de
Saint-Martin-le-Vinoux
et surplombent l’Isère.
Un grand parc
d’arbres de collection d’essences exotiques
(arboretum) était orné de statues et de
pièces d’eau pour constituer
l’écrin naturel de ce joyau architectural : une
serre de verres de couleur avec un jardin intérieur.
C’est une folie à tous les sens du terme : un
défi technique dépaysant, une création
originale tout comme un bijou de verre sublimé par la
nature
qui l’entoure (le terme " folie " qui vient du latin "
folium
" signifiant " feuille "). Un majestueux magnolia
grandiflora de 140
ans et un beau bassin baptistaire sont aujourd’hui les
derniers témoins de la splendeur du vaste jardin
ornemental.
En 1870, il devient membre de la
société des amis du musée de Grenoble.
Sur la liste des bienfaiteurs sur la plaque d'entrée en
1887
du HALL DE L'HOPITAL CIVIL, on peut remarquer "JULLIEN DIT
COCHARD et
JEANNE MARIE née LAVERRIERE
Les actes pour ses
transactions sont nombreux entre les achats et vente de
locaux au
gré de sa fortune, ainsi que les contrats de
négoce dont les engagements de fournir "fourrage et pains
de
troupe à la ration" avec l'administration de la Guerre. Il
est Fourrager pendant la grande muette de 1861 à 1867 dans
les départements des Bouches du Rhône, de l'Ain,
de la Vienne et de l’arrondissement d’Annecy.
Dans
une lettre du 15 avril 1878, il se nomme aussi "ancien
maître
de fonte".
Splendeur et
misère : la belle histoire se termine.
Joseph
Jullien dit Cochard se ruine pour cette " folie "
orientaliste, une
illusion entièrement en décors peints en trompe
l’œil. (D’ailleurs, le maitre
d’ouvrage a du manquer d’argent pour payer des
artisans car les peinture à tempéra ne sont pas
finies dans le haut de la montée d’escalier avec
des motifs stylisés de tulipes sur fond rose).
Son
épouse, décédée en 1873, le
déshérite en léguant sa fortune
à des œuvres de bienfaisance.
23
ans après le début de la construction de son
domaine, il est contraint de céder la villa
néo-mauresque à ses créanciers (voir
photo des années 1870).
Il se
remarie pour la troisième fois avec Alexandrine, une autre
couturière. Il a 73 ans et elle 44 (29 ans
d’écart). Mais les ressources ne
s’améliorent pas.
A 71 ans, il
crée une société de "commission en
peaux " avec Eugène Louis Primat, jeune associé
de vingt deux ans qui est le fils ainé de sa
troisième épouse Alexandrine... Il doit vendre
son appartement de la place Grenette, pour finir
désargenté dans des locations à
l’Ile Verte.
Ruiné en vingt trois ans
pour cette folie orientaliste, Cochard dût la
céder à ses créanciers en 1878, au
docteur Minder ancien médecin des colonnies.
(Notons
qu’en 1979 commence un autre palais idéal, celui
du facteur Cheval d'Hauterives que fit classer André
Malraux).
**
Son roman
s’achève dans son ultime demeure, un monument
funéraire néo-classique dans le
cimetière Saint Roch (case 129), à
côté de ses deux premières femmes, avec
cette émouvante épitaphe de son amour de jeunesse
Rosine.
" Elle est là qui attend son
époux, et sa mère et son père reposent
prés d'elle"
***
Depuis
24 ans, je vis mon quotidien dans un décor de roman, et on
me demande de plus en plus souvent des textes comme
celui-ci qui
retracent un chemin de vie singulier que l’on retrouve
comme
un vaste polar grâce aux recherches d’archives
d’étudiants ou de Denis Guignier…
Je
commence a remplir un calendrier de toutes les dates clefs
de 150 ans
d'histoires
dans un vaste théatre emplit de
personnages authentiques. Une saga de gens de peuple qui
rêvaient de colonnades et d'arabesques bleues pour vivre
milles et une nuits...
Le sieur Joseph Jullien